Le règne de la peau blanch(i)e

Connaissez-vous Carine Mongoué ? Une brillante femme d’affaires camérounaise qui a misé sur les soins esthétiques pour bâtir sa fortune. Sa rapide réussite économique à la mi-trentaine fait rêver les jeunes de plusieurs pays voisins. Sur Internet, quelques publications vantent son parcours académique. On y met en avant ses études en gestion d’entreprises, bien que ce soit une formation en cosmétologie à Dubaï qui ait été le déclencheur de sa carrière. Il y a dix ans, son institut de beauté Teint Métis voit le jour, suivi par la création des Laboratoires Carine Mongoué et en 2017, celle qu’on surnomme Boss Lady fonde un institut professionnel à son nom où une centaine de jeunes femmes se forment. Pour diversifier ses atouts, elle a récemment inauguré un hôtel de luxe dans la capitale de son pays.

Des produits cosmétiques pour enfants font partie de son offre. Toutefois en 2012, c’est la crème éclaircissante «Toute Blanche» ou «Khess Petch» en wolof, qui suscite des appels au boycott à Dakar et sur les réseaux sociaux. La publicité pour le produit promet des effets visibles en deux semaines. Quelques jours plus tard, un millier de citoyen.nes interpelle le gouvernement sénégalais avec une pétition, tandis que des dermatologues rappellent les multiples risques de ces mixtures, qui peuvent endommager la peau et nuire profondément à la santé. De cet élan initié par des militant.es naissent des posters «anti Khessal» et «Ñuul Kukk» ou «Toute Noire» pour célébrer «Black is so Beautiful» avec la collaboration gracieuse de personnalités locales des arts et de la publicité.

Mais en 2020, une nouvelle campagne pour un produit blanchissant s’invite dans les rues centrales de la capitale du Sénégal et à Yaoundé. Sur l’affiche trône la promotrice au teint clair des laboratoires Carimo. Preuve par l’image de l’efficacité de la pommade miraculeuse: des personnes de teint sombre se prosternent aux pieds de la reine de beauté. Au Caméroun, le ministre de la communication exige le retrait de la campagne, en se référant à une loi interdisant toute propagande à caractère discriminatoire fondée sur la couleur de la peau et pouvant porter atteinte à la dignité. Promptement, Boss Lady répond avec le déploiement d’un affichage publicitaire montrant une créature d’ébène en bikini (et masque sanitaire), vantant la crème Carimo nature pour «l’audace d’être soi», accompagnée du message: «Nous vous avons compris !»

Mais d’où vient cet engouement tenace pour la peau blanch(i)e qu’aucune loi, ni discours ne semble être à même d’enrayer? Malgré des campagnes de sensibilisation et maintes déclarations en faveur de la beauté africaine au naturel, des membres de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle constatent qu’une forte majorité des femmes la pratiquent, ainsi que quelques hommes de la diaspora et des milieux artistiques. Une imagerie mettant en scène le pouvoir d’une femme de peau claire sur des créatures sombres et soumises réveille aisément les cauchemars d’un passé d’esclavage et de colonisation, mais aussi des réactions machistes. En même temps, la peau claire symbolise fréquemment la pureté. Représenter les femmes en brun pâle et les hommes plus sombre est également un code qui traverse les cultures et les siècles, incluant les bas-reliefs égyptiens et les peintures érotiques de l’Asie, de même que les productions de Bollywood et les magazines féminins un peu partout. Quelques déesses de l’Inde à la carnation rouge ou verte font exception.

Un autre ingrédient-clé de nos idéaux esthétique semble aussi consister à contrarier la nature: lisser un cheveu frisé ou onduler une chevelure lisse, foncer une peau claire ou éclaircir un épiderme brun pour ajouter une pincée d’artifice, de sophistication. Outre les tressages multiples, nombre d’Africaines s’affichent volontiers avec des perruques aux cheveux tout sauf crépus. Les Afro-Américaines optent souvent pour une coupe raidie façon Michelle Obama, blonde, rousse ou brune, avec ou sans rallonges capillaires. Force est de constater que les mouvements liés au body positive et à la célébration de la beauté de tous les corps n’ont pas (encore) réussi à véritablement détrôner le règne de la blancheur, liée en Occident et au-delà, à un archétype de bonté lumineuse. Alors les fabricants de produits cosmétiques se réjouissent, et l’éducation visuelle a du pain sur la planche pour conscientiser nos regards, tant sur les images médiatisées que sur celles qui colonisent nos idéaux à notre insu ou contre notre gré.

Campagnes 2020 et 2012

Carimo prone la déifictation du blanchiment de la peau camer.be octobre 2020
Rétropédalage de Carimo au sujet de son affiche qui déifie le teint clair camer.be octobre 2020
« Une peau plus blanche en 15 jours »: tollé à Dakar contre une publicité pour une crème éclaircissante Les Observateurs septembre 2012

Sur le blanchiment de la peau

Au Sénégal, un mouvement citoyen contre la dépigmentation, avatar désastreux du modèle de beauté blanche TV5 Monde février 2013

Planète Blanche-Neige et marketing cosmétique afro

Planète Blanche-Neige L’Educateur mars 2016
Madam C.J. Walker (1867-1919), la femme qui transforma son peuple en une génération France Culture septembre 2022