Jeux vidéo: quelle place pour les filles?

Majoritairement apprécié des garçons, World of Warcraft ou WoW – et les jeux vidéo dans leur ensemble – connaissent depuis une dizaine d’années une augmentation du nombre de joueuses. C’est pourquoi, pendant l’été 2019, nous avons procédé à un petit sondage avec la collaboration d’une vingtaine de membres d’un groupe Facebook francophone dédié à WoW. Notre but? Savoir si le sexe du joueur influe sur l’expérience de jeu et sur les rapports entre participant.es. Notre question: «Quels sont à votre avis les avantages et désavantages dans le jeu lorsqu’on est une fille?» Depuis notre tour d’horizon, l’une d’entre elle nous a informées qu’elle est en train d’écrire son mémoire d’études sur la discrimination des femmes dans les jeux vidéo en France et au Japon.

Le jeu des garçons

Certains joueurs trouvent qu’il s’agit d’un divertissement où les filles n’ont pas leur place. Une guerrière, J., a ainsi partagé son expérience avec humour: «Je me souviendrai toujours de ce brave healer – soigneur – qui s’est écrié au micro ‘Je ne heal pas si le tank – rôle d’un personnage placé en première ligne au combat – est une femme.’»

Pour d’autres garçons, la présence des filles dans le jeu représente une opportunité de parler avec une partenaire de vie potentielle et ils deviennent parfois très insistants. A. se souvient: «Certains gars se permettent des questions très intimes ou des propos vulgaires. Tu as beau les remettre à leur place, ils continuent».

L’insistance fait parfois place au harcèlement, qui dégoûte les filles de rester sur le jeu. L. nous confie: «J’ai rencontré un gars sur le jeu… bizarrement il me connaissait, mais je ne me souvenais pas de lui. Il m’a draguée, a obtenu mon numéro de téléphone et a commencé à me harceler hors-jeu, me disant qu’il m’aimait. Jusqu’à venir sonner chez moi. J’ai dû faire appel à un MJ -Maître du Jeu, chargé de gérer les joueurs et qui sert de médiateur en cas de conflit – qui après vérification l’a banni…» Pour la plupart des joueurs, le focus porte heureusement sur les compétences en équipe lors des combats.

Le jeu des filles

Quelque joueuses contribuent aussi à troubler l’image des femmes au sein de la communauté, n’hésitant pas à proposer des faveurs en échange d’aide, voire de cadeaux. Le joueur H. nous dit: «J’ai eu plusieurs fois des filles qui m’ont envoyé des nudes – photos dénudées – pour avoir plus de droit dans la guilde.»

La plupart des filles disent préférer se débrouiller par elles-mêmes pour réussir leurs quêtes. N. nous explique par exemple: «Je ne crois pas que ça m’ait jamais avantagé. J’évite d’en profiter, j’ai toujours fait en sorte de mériter ce que j’ai sur le jeu, fille ou pas fille.»

Certaines préfèrent taire le fait d’être une fille et ne communiquent que par écrit –on peut en effet s’exprimer par microphone, mais ce n’est pas obligatoire. Ces joueuses prennent ces précautions, afin de ne pas se faire insulter ou exclure. D’autres utilisent un personnage de type masculin pour se fondre dans la masse et éviter toute remarque.

Cadeaux empoisonnés

C. raconte :«On m’a offert de nombreuses montures –moyen de déplacement– juste parce que je suis une femme, ainsi que des mascottes –petits compagnons. Un jour, deux gars d’une guilde « se battaient » pour moi. Un m’a donné deux mille PO –pièces d’or– car il m’aimait bien. L’autre a renchéri et ils ont continué comme ça jusqu’à cinq mille PO chacun.»

Une autre joueuse témoigne : «Les mecs qui donnent des objets pour draguer, avant j’étais très gênée de les repousser. Aujourd’hui je refuse les cadeaux, ça n’apporte que des problèmes. Il y a des gars qui tombent amoureux IRL – «in real life», soit en dehors du jeu– et tu ne sais pas quoi faire.»

Jeux d’émotions

Il y a encore des joueurs qui peinent à accepter la présence des joueuses et qui les dénigrent. C. nous raconte son vécu : « Un jour j’ai rejoint une guilde et je suis allée sur le vocal. Quand j’ai dit bonjour, une armée de mecs m’a dit « T’es une femme? Dégage de là! » et ils se sont mis à rire, alors je suis vite partie.» De tels dénigrements peuvent blesser et B. nous confie : «Les hommes nous trouvent bêtes et ils ont tendance à nous expliquer tout 20 fois». L. estime pour sa part : «Quand il m’a dit : « Tu joues super bien pour une fille! », j’ai trouvé ça assez drôle, parce que je l’ai pris comme un compliment ».

La jalousie s’invite de manière récurrente. Difficile d’accepter que l’homme qu’on aime joue et rie avec une autre. «J’ai souvent perdu des potes à cause de leur copine qui ne voulait pas qu’il joue avec moi, alors que c’était du jeu et rien de plus, il n’y avait aucune ambiguïté.» se rappelle M.

Les garçons aussi sont jaloux. «Il y a environ 8 ans, mon petit copain m’a fait connaître le jeu, m’a fait entrer dans sa guilde et m’a aidée à monter en niveaux. Le problème, c’est qu’il était d’une jalousie maladive… J’avais l’interdiction de parler en «vocal» aux garçons et devais écrire au masculin, afin de cacher le fait que je suis une fille… »

L’amour peut aussi être au rendez-vous. Le déclencheur peut être une voix entendue en chat, une façon d’être ou simplement la connivence dans l’espace virtuel. Des couples se sont ainsi formés sur WoW en faisant simplement une quête ensemble dans le jeu. Certaines relations durent depuis des années et le duo joue partage à présent sa passion avec ses enfants.

Jouer en tant que fille ou choisir un avatar féminin suscite des réactions allant de l’amabilité à l’insulte, de la séduction au rejet abrupt. D’après les témoignages, être une joueuse de jeux vidéo reste donc délicat. L’éducation et les habitudes sociales influent en effet sur les attitudes de chacun.e dans le jeu. De plus, le sexe du personnage teinte le comportement des joueur.euses, et le fait qu’il n’y ait que des personnages genrés oblige à se situer dans la catégorie homme ou femme. Apparemment, dans World of Warcraft comme dans la vie courante, les réactions sexistes découragent nombre de joueuses, tandis que d’autres trouvent malgré tout leur place.