Initialement publié dans le blog de l’Illustré en septembre 2023
En passant dans le rayon parfumerie d’une pharmacie, j’ai eu le regard capté par ces créatures. L’expression du héro m’a surprise, son grain de peau aussi. Quelle femme de pub serait représentée avec tant de rugosités et même des boutons ? C’est alors que j’ai vu la déesse de la même marque, fond de teint épais et couches de retouches pour terminer la cuisine esthétique. La bouche présente un dessin un peu raidi, mais les lèvres sont entr’ouvertes. Deux types de sensualité nous sont proposées: la divinité féminine occupe toute l’image à elle seule, tandis qu’un cheval accompagne l’homme héroïque. Une forme d’égalité nous est donnée à voir par la bouteille carrée. Mais elle est sombre et sobre pour lui, lumineuse et ciselée pour elle.
Comment ados et adultes choisissent-ils un parfum ?
A l’odeur ? C’est ce que de nombreux élèves disent dans les ateliers de « décod’image ». Les senteurs éveillent certes nos sens, mais la marque n’aurait-elle vraiment aucune importance. Dans une parfumerie où j’explorais les mises en scène et les promesses de différents produits, une discussion échauffée entre quelques garçons et filles m’a surprise. La question récurrente: « Qu’est-ce que j’achète ? Celui-ci ou plutôt l’autre ? Ils sont les deux à 100 CHF. » Toute une argumentation sur les marques était en cours, sans rapport avec les fragrances. Quand j’ai vu qu’il s’agissait d’adolescent.es, je me suis demandé d’où pouvait provenir de tels moyens financiers pour des parfums. Leurs téléphones portables coûtent plus cher, mais pourquoi de telles préoccupations d’achat à cet âge ? Pourtant, les médias et les réseaux sociaux sont remplis d’articles sur la consommation éthique et durable…
La première publicité du peintre René Magritte en 1916 résumait un principe qui reste d’actualité: « Pour devenir un fort soldat, je bois le pot-au-feu Derbaix ». En d’autres termes: j’achète ceci pour devenir cela, pour être un peu plus héros, boss, divin.e ou séduisant.e. On sait qu’une senteur seule ne résoudra pas nos relations, mais on voit l’image envoûtante, qui promet ce que les entreprises n’oseraient pas prétendre en mots, car elles risqueraient d’être attaquées pour promesse mensongère. Le matraquage commercial est si omniprésent que le plaisir immédiat de l’achat -et le fait de pouvoir nous permettre un bout de luxe- suffit à nous détourner d’un questionnement sur les filets de la manipulation dans lesquels nous nous laissons prendre, tout en affirmant être libres.
Le cinéma cosmétique
Musique classique ou campagnes électorales, les visages sont retravaillés selon les codes de représentation des mises en scène de la publicité et du cinéma. Les filtres et les réseaux sociaux ont amplifié la tendance. Nous nageons tous au quotidien dans le même bain visuel artificiel. Alors comment oser un look vraiment différent, quand on a envie d’être accepté.e dans un groupe ou une équipe professionnelle ?
Oserez-vous assumer le penchant de votre cœur pour un scandale (à plus de 100 CHF) ? Ou vous sentez-vous davantage attiré.e par la large carrure de la mannequin « Libre » pour exprimer votre odeur personnelle après une bonne douche ?
Pour explorer davantage Eve et Adam ou la senteur miraculeuse des images
Les photos ont été prises par Eva Saro, à l’exception de la publicité Gaultier et sont la propriété de la fondation images et société