
Cette image d’agence a été utilisée en Suisse pour une carte postale, et au Brésil pour une affiche publicitaire. Toutes deux ont suscité des réactions, mais pour des raisons différentes.
En Suisse, la carte postale a été jugée pédophile, en raison de l’image, mais également du texte suggestif qui l’accompagne: «Jeune, délicieux, et encore disponibles…»

Au Brésil, la publicité a été critiquée pour sa vision conservatrice de la société. En l’observant plus en détail, on constate en effet que le bébé à la peau foncée se trouve seul, à l’écart du groupe. Sommes-nous en présence de racisme (inconscient) de la part du (ou de la) photographe? Au fil de nos projets créatifs au Brésil, nous avons appris que l’auteure estimait les critiques injustifiées.
Les Européens sont devenus sensibles aux problèmes de pédophilie, notamment suite à l’affaire Marc Dutroux. Au Brésil, les problèmes sociaux liés à l’origine culturelle restent très présents. Ces deux environnements socio-culturels induisent dès lors deux interprétations différentes d’une même image.

Une pub pour un sous-vêtement, vue dans un magazine brésilien il y a quelques années. Source d’inspiration: une fresque italienne du 16e siècle, Jupiter séduisant une déesse faite par Giulio Romano pour un palais.
En quoi l’idéal de beauté féminin et masculin diffère-t-il entre aujourd’hui et hier? Comment le cadrage a-t-il changé et pourquoi? Pourquoi les regards échangés ont-ils évolué?

Ce qui est considéré in/décent varie d’un moment et d’un lieu à un autre, sans que nous y prenions vraiment garde. Le pénis en érection n’a plus sa place dans le monde de la pub, alors que nous nous croyons libérés.
C’est pourquoi, explorer les conditions socio-culturelles qui influent sur les codes de représentation se révèle riche d’enseignement pour mieux se situer.

A quoi reconnaissez-vous les retouches? Quand vous ne voyez qu’une image, comment vous y prenez-vous pour détecter le travail qu’a subi la photographie?
Le photographe Olivier Culmann a confié une série de paysages urbains et de plages pris en Inde à des studios de retouche numérique de New Delhi. Sa série «Diversions» nous confronte à des vues avant-après pour mieux interroger ce que nous voyons et croyons.

Pour l’instant, nous réagissons négativement à des images d’enfants retouchés. Pour combien de temps encore? Car nous nous habituons vite à certains canons esthétiques. Au point qu’élèves et adultes dans nos ateliers s’exclament «c’est moche» quand ils voient des photos avant retouche des célébrités qu’ils affectionnent.
Femmes et hommes ne sont pas retouchés pareillement. Pourquoi? Nous n’y prêtons pas une attention consciente et pourtant les conséquences sur notre santé sont de taille: dans les études sur le bien-être des jeunes, les filles expriment une insatisfaction de leur corps de plus en plus jeunes et les régimes dès 8-9 ans se répandent. A force de nous voir dans des miroirs et dans des photographies qui détaillent tous les angles des corps, nous vivons décentrés, avec un regard extérieur critique sur nous-mêmes.
Quels aspirations et angoisses nos canons actuels révèlent-ils? Quelle place reste-t-il pour notre diversité quand nos yeux s’habituent à certaines proportions et peaux? Comment pouvons-nous découvrir la vie dans sa richesse et aller à la rencontre de l’autre quand nous sommes obnubilés par des questions esthétiques?

Une publicité de 1916 du peintre belge René Magritte résume clairement les stratégies commerciales: achetez ceci pour devenir cela (Georges ROQUE, Ceci n’est pas un Magritte: essai sur Magritte et la publicité, Flammarion, 1983).
Dans les années 50, Marshall McLuhan faisait remarquer que «le sens de beaucoup de publicités et de produits de l’industrie du divertissement est de rendre chacun, par une permanente excitation de l’esprit, dans un état de détresse». En 2004, le directeur de TF1, Patrick Le Lay complète cette analyse devant un parterre d’entrepreneurs: «A la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola par exemple à vendre son produit. Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.» Nous détendre en nous titillant de multiples manières.

Quel est à votre avis l’impact des images des médias sur nous, sur notre estime personnelle et sur nos décisions d’achat?
Les animateurs.trices des maisons de quartier relèvent fréquemment qu’au moment du goûter, les filles disent ne pas avoir faim, alors que les garçons mangent tous de bon appétit. Quelle est la part de la nature et la part de la culture dans cette attitude? Une étude effectuée en Allemagne a révélé que 90% des filles se trouvent trop grosses, que 25% d’entre elles, âgées de 7 à 10 ans, reconnaissent avoir déjà fait un régime. Pour celles âgées de 11 à 13 ans, le chiffre s’élève à 50%. (Brigitte, 10/2000, p. 128). Diverses études psycho-sociales, dont celles de l’OMS, révèlent que les filles insatisfaites de leur corps le sont de plus en plus jeunes. Les garçons considèrent la grandeur et la force comme cruciaux. Les filles focalisent sur l’esthétique et la minceur. Certains garçons qui ne s’estiment pas performants physiquement, disent que le fait d’être intelligent ou avoir d’autres qualités intérieures compense la beauté physique. Les filles n’évoquent pas cette alternative. (Ina-Maria Philipps, études allemandes et suisses de 1999 à 2006).

«Une étude réalisée par Lucas & ses associés (1991) a examiné les cas d’anorexie sur une période de 50 ans et a découvert que l’incidence de cette maladie chez les jeunes filles âgées de 10 à 19 ans correspondait à un changement de la mode et de ses représentations du corps idéal. Ainsi, l’idéal de minceur précédait les périodes où les taux d’anorexie étaient les plus élevés.»
(Extrait de www.about-face.org).
«Le facteur qui influe le plus sur le cerveau d’un enfant et sur son développement psychologique est l’interaction humaine. Quand celle-ci se fait moins fréquente, l’information en images mobilise fortement les émotions et prend le dessus. Ainsi, la violence à la télévision et les jeux vidéo agressifs affectent les enfants de diverses manières, notamment par l’imitation, l’identification, l’expression des émotions et l’assimilation de rôles sociaux, ce qui, pour peu que cela survienne relativement souvent, peut altérer le cerveau de l’enfant, même biologiquement.» (Tuula Tamminen, Professeur de psychiatrie infantile, Université de Tampere, Finlande).

«Le conformisme esthétique atteint de nos jours une puissance inconnue en sorte que le choix d’un type de partenaire échappe de plus en plus au mystère personnel et se trouve déterminé par Hollywood.» (L’amour en Occident, Denis de Rougemont, 1938 et 1956).
Que pensez-vous de la situation actuelle? Comment choisissons-nous nos partenaires? Quelle est la part de l’apparence, du milieu socio-culturel, la part du tempérament et du vécu de la personne?